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Sauvons nos quartiers
6 décembre 2022

Environnement : le bassin du Congo, objet d'une thèse de doctorat

 "La littérature peut-elle sauver le bassin du Congo ? Écocritique postcoloniale et activisme littéraire environnemental."  C'est l'intitulé de la thèse de doctorat présenté et soutenu, le 11 mars 2022,  par Kenneth Toah NSAH , diplômé de l’Université Yaoundé I (Cameroun) et de l’Université de Perpignan (France), docteur de l’Université d’Aarhus (Danemark).

kenneth Nsah

                           Kenneth Toah Nsah ( à droite) au milieu des membres du jury (photo AUF)

Cette thèse soutient que les textes littéraires ont le potentiel de contribuer à la protection de l'environnement et à l'atténuation du changement climatique dans le bassin du Congo (la deuxième plus grande forêt tropicale humide du monde après le bassin amazonien). La thèse postule qu’en plus des solutions et innovations politiques, scientifiques et technologiques pertinentes, la littérature constitue un moyen important pour répondre aux préoccupations climatiques et écologiques dans le bassin du Congo et ailleurs. Cet argument repose en particulier sur la capacité de la littérature à représenter la complexité, à mettre en lumière diverses formes d'injustice, à sensibiliser sur les enjeux écologiques, à éduquer divers publics (lecteurs et lectrices), à imaginer les futurs différents pour la Terre (sa dimension la plus prospective) et à influencer les transformations comportementales qui s'alignent sur la durabilité, tant au niveau politique qu'individuel au quotidien.

Largement située dans le champ de recherche des humanités environnementales (HE), la thèse s'appuie principalement sur l'écocritique postcoloniale et l'activisme littéraire environnemental pour analyser une gamme de textes littéraires principalement des pièces de théâtre et des romans, et parfois des poèmes écrits en anglaise et en français par dix écrivains de cinq des six principaux pays du bassin du Congo.  La thèse examine les textes littéraires sélectionnés au vu de leur utilisation dans les débats, politiques et pratiques sur le changement climatique et l'environnement ou l'écologie dans le bassin du Congo.

La thèse est divisée en deux grandes parties : une introduction étendue (chapitres un et deux) et cinq articles académiques (chapitres trois à sept). Le chapitre 1 présente l'argumentation globale de la thèse, le bassin du Congo et les auteurs sélectionnés. Il formule l’hypothèse centrale de la thèse qui consiste à dévoiler la capacité des textes littéraires à contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique et la dégradation environnementale dans ce bassin. En plus, il expose les différentes richesse du bassin du Congo, en termes surtout de la diversité culturelle et écologique ainsi que sa capacité de stockage des gaz à effets de serres, grâce notamment à ses forêts et tourbières tropicales. Ce chapitre présente aussi les auteurs principaux dont les textes sont analysés, mettant l’accent sur les auteurs dont le background éducatif et professionnel influence leur activisme/militantisme littéraire en faveur du climat et de l’environnement. 

Quant au deuxième chapitre, il évoque et présente les considérations théoriques et contextuelles qui informent l'analyse textuelle, notamment l'écocritique postcoloniale, l'activisme littéraire environnemental, l'esthétique fonctionnelle des littératures africaines, le théâtre pour le développement en Afrique et le théâtre environnemental. Il met en exergue le caractère éclectique des humanités environnementales et de l’écocritique postcoloniale qui permettent une interdisciplinarité/multidisciplinarité dans les études des phénomènes complexes et multiformes. En même temps, il souligne comment l’écocritique postcoloniale permet d’établir des liens entre le colonialisme, le néocolonialisme et les problèmes climatiques et environnementaux. Par ailleurs, il présente l’aspect interventionniste et fonctionnelle de la littérature comme un militantisme textuel ou littéraire en faveur de la cause climatique et environnementale. Et il relie le théâtre pour l’environnement d’aujourd’hui et le théâtre pour le développement, en démontrant comment le théâtre peut être déployé pour avancer des causes données.

Le chapitre 3 de la thèse examine les causes et les conséquences de la déforestation sur les humains et la nature. S’appuyant sur la pièce de théâtre Le Cri de la forêt co-signée par Henri Djombo et Osée Koagne, ce chapitre démontre que destruction de la nature, notamment la déforestation, met en danger le présent et l’avenir de du basin du Congo et de la Terre pour tous ses habitants, humains et non humains. Ce chapitre examine les rôles que jouent le capitalisme, la démographie, et la négligence des points de vue des jeunes dans la destruction de la nature. Il évoque aussi certaines pratiques autochtones qui sont favorable au développement durable et souligne la place centrale des jeunes et femmes comme victimes et combattants de la double crise climatique et environnementale dans le bassin du Congo et ailleurs.

                   L'émergence d'un activisme mondial de la jeunesse pour climat 

Dans le chapitre 4, la thèse soutient que certains écrivains du bassin du Congo avaient prédit l'émergence d'un activisme mondial de la jeunesse pour le climat. En fait, ce chapitre tente d’établir une corrélation entre certains texte de Ekpe Inyang (quelques poèmes et pièces de théâtre), Nadia Origo (un roman), Henri Djombo et Osée Koagne (deux pièces de théâtre), d’un côté, et l’activisme global de la jeunesse pour le climat tel que incarné par les jeunes comme Greta Thunberg (Suède), Vanessa Nakate (Ouganda) et Remy Zahiga (RDCongo), parmi d’autres. Ce chapitre souligne la dimension prophétique et prospective de la littérature dans le bassin du Congo et dans le monde, indiquant comment ces auteurs ont prophétisé ou prédit le mouvement mondial de la jeunesse pour le climat, explique pourquoi cette mobilisation reste timide en Afrique, et considère les textes en question comme de sources d’inspiration pour les jeunes pour s’impliquer dans la cause climatique et écologique.

Le chapitre 5 discute des relations entre l'homme et l'animal à travers des espèces compagnes comme les chiens, les chevaux et, exceptionnellement, les buffles par le biais de la codomestication. Il démontre comment les romans d’Athanasius Nsahlai (The Buffalo Rider), Patrice Nganang (Temps de chien) et Gaston-Paul Effa (Cheval-roi) nous invitent à nous rappeler des liens et des enchevêtrements entre nous le humains et les autre animaux sur la Terre. Selon ce chapitre, le roman Nsahlai nous apprend que chaque tentative de domestication d’un animal sauvage est en réalité un processus de co-domestication dans lequel les deux animaux (humain et non humain) se partagent. Pour le roman de Nganang, le chien n’est pas seulement un compagnon de maison ou de chasse mais un compagnon de lutte politique, surtout quand les humains deviennent faibles ou oublient leur force devant une dictature. Alors le roman d’Effa nous montre comment les différentes formes d’amour entre les chevaux et les humains. En général, ce chapitre soutient que les rapports humains-animaux dans ces romans peuvent nous inspirer pour protéger la faune et la flore car ils nous rappellent de nos relations d’interdépendance avec le reste de la Nature.

Le chapitre 6 examine l'écopolitique de la pollution des eaux douces et de l'urbanisation nonstructurée, ainsi que la manière dont la mauvaise gouvernance provoque ces problèmes et leurs conséquences sur les droits et la santé des humains et de la nature. Ce chapitre utilise la pièce Water Na Life d’Inyang et Le Mal de terre de Djombo pour aborder les problématiques de la pollution des eaux douces et l’urbanisation désordonnée dans le bassin du Congo en lien avec la faiblesse de la mauvaise gouvernance. Il souligne que la mauvaise gouvernance et l’ignorance de certains humains en termes de leurs interdépendance avec la nature provoquent des problèmes de santé pour les humains et la nature (animaux, fleuves, plantes, terre) et violent ainsi que les droits humains et les droits de la nature. Il démontre aussi que la nature n’est pas passive, car lorsqu’elle exploitée et ses droits violés, elle peut nous frapper en revanche sous formes des maladies et de ce que Rob Nixon appelle “la violence lente” et que cette thèse appelle “la violence simultanée.” Pour Nixon, il s’agit des conséquences lentes, parfois invisibles, et dispersées de la dégradation environnementale sur les population humaines, surtout les plus pauvres et vulnérables. Or, pour cette thèse, il est question des multiples violences, lentes et instantanées, que subissent les humains et les non humains lorsque la nature est provoquée et exploitée sans limites.

Enfin, le chapitre 7 de la thèse suggère que la littérature peut aider à démêler les hypothèses erronées et les mythes tels que l'idée coloniale d'une Afrique édénique qui sous-tend la conservation des forteresses que sont les grands parcs dans le bassin du Congo, perpétuant ainsi le colonialisme/impérialisme vert et le capitalisme néolibéral, sapant les systèmes de connaissances autochtones et provoquant diverses formes d'injustice environnementale. Ce chapitre s’appuie sur les textes d’Inyang (The Last Hope - pièce de théâtre), de Ndinga (Les Marchands du développement durable - roman), de Goyémidé (Le Silence de la forêt - roman), et de Bofane (Congo Inc. : Le Testament de Bismarck - roman) pour déconstruire ces hypothèses erronées et mythes et questionner le capitalisme néolibéral et l’impérialisme vert qui souvent sous-tendent les initiatives environnementales de certaines ONG occidentales en Afrique en général et dans le bassin du Congo en particulier.

Dans l'ensemble, la thèse soutient que la littérature peut apporter sa propre contribution, en synergie avec d'autres disciplines académiques et efforts (politiques, scientifiques et technologiques), à la préservation du bassin du Congo en assurant sa durabilité, en conservant sa biodiversité, en y atténuant le changement climatique et en promouvant la justice environnementale pour les humains et la nature dans le bassin et bien au-delà. Autrement dit, cette thèse démontre bien que nous ne pouvons pas prétendre résoudre la crise climatique et écologique dans le bassin du Congo et ailleurs sans prendre en compte l’apport des humanités environnementales en général et de la littérature en particulier. Nous ne pouvons et ne devons pas laisser cette double crise seulement entre les mains des scientifiques purs et des politiciens. En fait, la littérature doit aussi jouer pleinement son rôle dans la recherche des solutions à cette double crise.

 

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